

Interview de
Matthieu Komorowski
Médecin spatial
Anesthésiste et réanimateur diplômé de Lille, Mr. Komorowski a occupé un poste de recherche à l’Agence Spatiale Européenne durant son internat, et il a aussi travaillé avec l’équipe du NASA Human Research Program sur la préparation médicale aux futures missions d'exploration spatiale. Il possède des qualifications supplémentaires en ingénierie biomédicale, médecine spatiale, médecine de montagne, de plongée et hyperbare. Sa passion pour les milieux extrêmes l’a conduit à pratiquer sur les pistes du circuit des 24h du Mans, aux confins de la Sibérie, au sommet du Kilimandjaro ou au milieu du désert de l’Utah où il a participé à une mission de simulation Martienne. Il vit actuellement à Londres, où il occupe un poste en réanimation à l'hôpital Charing Cross, et poursuit en parallèle une thèse de sciences en ingénierie biomédicale à l'Imperial College London et au Massachusetts Institute of Technology. Pour ses recherches en intelligence artificielle appliquée au sepsis, il a récemment reçu le premier prix en recherche et innovation de la British Royal Society of Medecine.
- Peux-tu nous résumer ton métier, tes expériences et tes études pour y arriver ?
â
Les médecins qui travaillent au Centre Européen des Astronautes sont appelés des « Flight Surgeons ». Ils s’occupent de la sélection des astronautes, de leur préparation avant les missions, du soutien médical pendant les missions et de la réhabilitation à la suite des missions. Ce métier nécessite de travailler dans de multiples pays, notamment à Cologne au Centre Européen des Astronautes, à Houston au Texas, à Moscou en Russie et Baikonour au Kazakhstan.
Il n’existe pas de parcours prédéfini en Europe pour devenir Flight surgeon, il faut en general être médecin avec une capacité en médecine aéronautique, puis postuler auprès de l’Agence Spatiale Européenne lorsqu'une offre d’emploi apparaît.
Pour ma part, j’ai commencé en 2009 par un stage au Centre Européen des Astronautes, au cours de mes études de médecine. Ensuite, j’ai passé 2 mois à la NASA (Johnson Space Center à Houston au Texas) en 2011, avant de revenir à Cologne pour un poste de recherche en 2011-2012. J’ai ensuite terminé mon internat d'anesthésie-réanimation en France avant de partir à Londres où je réalise actuellement un second doctorat (une thèse de sciences) à Imperial College London. Je travaille en collaboration avec 2 universités américaines : le Massachusetts Institute of Technology et Harvard, qui sont à Boston. Dernièrement, j’ai débuté un projet avec le Centre Européen des Astronautes dans lequel je participerai au développement des systèmes médicaux embarqués lors des futures missions vers la lune ou Mars.
- Pourquoi avoir choisi la médecine spatiale comme domaine d'activité ?
J’ai toujours été intéressé par l’exploration spatiale. En tant que médecin il m’a semblé évident de travailler sur la médecine spatiale qui se trouve à l’interface entre ces 2 domaines. Disons que j’ai toujours été intéressé par le milieu de la conquête spatiale et l'idée de mettre en commun les deux était vraiment une évidence.
- Peux-tu nous parler de la création du concept de médecine spatiale ? Est-ce une discipline à part entière ou existe-il un domaine de connaissance déjà établi ?
(Cette discipline est apparue au moment de la guerre froide, quand les américains et les russes étaient en compétition notamment pour l'accès à l’espace). L'idée de la médecine spatiale est née d’un besoin: le risque de pathologies qui nécessitent des compétences en anesthésie est assez significatif en orbite terrestre basse, par exemple. Pour autant, dans les années 50, nous n'étions même pas sûrs de pouvoir envoyer un être humain dans l’espace. Nerphon Brown fut un des ingénieurs rassemblés par les américains durant l'opération Paperclip après la seconde guerre mondiale. Cette opération consistait à lutter contre l’URSS afin de récupérer les armes secrètes de la conquête spatiale. Il est rapidement apparu que maintenir un être humain en vie et en bon état de fonctionnement dans l’espace serait très compliqué et nécessiterait des connaissances et technologies nouvelles. En effet, en 1950 (soit 10 ans avant le vol de Youri Gagarin), ce ne seront pas les limites de l'ingénierie mais plutôt les limites du corps humain qui vont finalement décider s'il est possible ou pas d’envoyer un homme dans l’espace. Ceci a conduit au développement de la médecine spatiale, dont l’objectif était de soutenir la santé des pilotes qui participaient aux premières missions spatiales.
La médecine spatiale dérive de la médecine aéronautique militaire, qui s’occupait principalement des pilotes d’essai.
- Quelle est la spécificité de la médecine spatiale par rapport à la médecine terrestre ?
Les astronautes sont en parfaite santé avant leur départ, ensuite l’apesanteur va les affaiblir et perturber la plupart des fonctions physiologiques dans le corps humain. En comparaison, les patients qui fréquentent les docteurs et les hôpitaux sur Terre sont, par définition, malades. L'environnement et les types de pathologies rencontrées sont également très différents entre les deux.
- Quelle est la probabilité de réaliser une anesthésie générale au cours d'une mission spatiale ?
La probabilité est certainement très faible voire quasiment nulle en orbite terrestre basse. Quand on ira sur Mars, quand une équipe s'aventurera sur Mars pendant longtemps, le risque d'une pathologie chirurgicale ou médicale nécessitant une anesthésie générale deviendra assez significatif. Le risque est cependant réel. Pour l’instant nous n’avons jamais eu l'expérience d’une procédure comme celle-la dans l’espace.
“ L'humanité ne pourra pas survivre si nous ne devenons pas une civilisation multi planétaire. “ Karl Sagan.
Selon lui c'est rationnel d'essayer de protéger l'humanité en semant des colonies indépendantes et autosuffisantes. En ce qui concerne Mars, le dernier profil de mission dont on dispose vient de la NASA, du programme Constellations datant de 2009. Il parlait d'une mission de 900 jours pour 6 personnes avec plus ou moins 500 jours sur la surface martienne, soit 200 jours de trajets pour l’exploration.
Au cours d'une mission comme celle-ci, un événement chirurgical grave ou une pathologie sévère nécessitant des mesures d'anesthésie, sont les estimations qui pourraient intervenir. C’est principalement l’effet de pesanteur pendant le vol vers mars qui va affecter les astronautes de manière significative.
Comment calculer cette probabilité: utiliser des populations analogues, isoler (station polaire en antarctique, équipage de sous marins) et les comparer.
- Quel est le kit médical embarqué lors d'une mission ?
Un kit très simplifié, impossible d’emporter un hôpital entier dans l’espace! En ce qui concerne le matériel utilisé pour des interventions dans le cas d’une anesthésie, le kit contient du matériel d’intubation, un laryngoscope, des sondes, de quoi faire une trachéotomie, un simple ventilateur, quelques drogues.
Mais à l’heure actuelle, il est impossible de faire une anesthésie générale au sens classique du terme. Cependant la réanimation d’un patient en arrêt cardiaque est plus pratiquée. Si un astronaute avait à l’heure actuelle besoin d’une anesthésie, il serait évacué. Il est possible par exemple d'évacuer un astronaute de l’ISS. Il existe deux capsules, avec trois sièges à l'intérieur de chacune d’entre elles, accrochées à la station. Le délai entre la décision d'évacuer et le moment où le malade atteint un hôpital (probablement à moscou ou en Allemagne) est entre 12 et 24h.
Une autre contrainte limitant les astronautes est qu’ils doivent porter une combinaison pressurisée pour le retour; on ne peut pas imaginer mettre quelqu'un d’intubé dans ce genre de combinaison, plus un ventilateur, plus des bidons d'oxygène, pas très commode!! Donc ce serait vraiment critique de devoir évacuer quelqu'un et cela reste une solution finale.
De plus, admettons qu’un médecin décède à bord, d’un infarctus par exemple. La mission doit inévitablement continuer sans lui. Donc c’est très rationnel de préparer plusieurs membres de l'équipage à la pratique de certains actes médicaux. La redondance des capacités médicales va vraiment être un facteur important, selon moi, pour la sécurité et donc le succès de la mission.
- En cas de problème médical, quel serait le délai maximal de communication entre un équipage sur terre et l'équipage en mission ?
C’est facile à calculer: l’orbite martienne est égale à 225 millions de km contre 150 pour l'orbite terrestre. Donc si les deux planètes sont à l'opposé du soleil l’une de l'autre c’est 375 millions de km qui séparent les deux planètes. A 300 000 km/s, la vitesse de la lumière, il faudrait à peu près 1200 secondes soit 20 minutes pour communiquer, donc recevoir un mail ou une information vidéo depuis Mars sur Terre.
Cela veut dire que c'est impossible d'imaginer des télécommunications réelles entre la Terre et Mars comme on les réalise actuellement avec l’ISS. Donc, en cas de problème médical, il existe des programmes d’aide à la chirurgie par télémédecine asynchrone. En effet, si la vie d’un homme est en jeu, 20 minutes peuvent être décisives.
- Si un astronaute meurt, quelles précautions doivent prendre l'équipage quant au corps sans vie ?
Alors, ce n’est encore jamais arrivé. Pour autant, des chercheurs en éthique ont fait des “deathsim”, des simulations de mort. Vous me direz qu’il suffit de jeter le corps à l'extérieur de la station, comme dans Star Trek! Mais ce n’est pas si facile car, probablement pour des raisons de pollution et de bactéries, les Nations Unies interdisent de jeter un cadavre dans l’espace. En effet, ils interdisent de prendre l’espace pour une poubelle. De plus, le cadavre gelé ( -150C) pourrait heurter un autre engin spatial ou entrer en collision avec une planète. Son atterrissage engendrerait potentiellement un développement de microbes sur la planète concernée. A tout cela s’ajoute le stress des survivants ainsi que leur pression psychologique.
- Est-il vraiment nécessaire qu'un médecin fasse partie de l'équipe plutôt qu'un ingénieur par exemple ?
C’est une question difficile. Certains ont dit que ce n’était pas nécessaire d’avoir un médecin à bord, et qu’un ingénieur ou un pilote aurait des compétences plus précieuses. Selon eux, un sujet atteint d’une pathologie bénigne peut être soigné par n'importe qui, pas besoin d'être médecin. Par ailleurs, si la pathologie est grave ou extrêmement grave, même un médecin ne pourrait pas faire grand chose, donc certains affirment que ce n’est pas nécessaire d'avoir un médecin à bord. Néanmoins, en 2008, un sondage fait auprès des astronautes américains va à l'encontre de cette idée. Les astronautes, étant témoins des conditions spatiales, pensent qu’il faut un médecin à bord. Malgré les quelques simulations sur Terre d’actes médicaux, la pesanteur, le stress et l'angoisse peuvent immobiliser un astronaute incapable d'aider un malade. Le médecin généraliste par exemple serait plus apte à accomplir ce genre de tâches. En effet, la plupart des experts s’accorde à dire que la présence d’un médecin à bord serait nécessaire au bon déroulement de la mission.
â
- Quels sont vos espoirs quant aux futurs voyages sur Mars ? Qu’en est-il de sa faisabilité ?
A mon avis, nous sommes encore loin d’un tel objectif. En effet, c’est scientifiquement faisable d’aller sur Mars, mais ce serait très risqué aujourd’hui. C'était un projet ambitieux mais probablement irréaliste pour l’instant... Ce projet coûtera assez cher, on parlerait d’au moins 100 milliards de dollars, seulement pour la première mission. De plus, il y a de nombreux risques médicaux qui sont difficiles à prévenir ou traiter sur place, comme par exemple l’exposition aux radiations solaires, ou les problèmes psychologiques liés au confinement... Donc ce fabuleux projet ne s'affirmera peut être jamais, comme étant la première expédition humaine sur Mars. Pour autant, celui-ci va continuer à faire rêver les humains et peut être réussirons-nous à nous envoler sur la planète rouge…
â
Nous remercions Matthieu Komorovski de nous avoir accordé cette interview. Grâce à lui nous avons pu avoir un regard professionnel sur le sujet et des détails sur les professions de ce milieu. La prochaine partie de notre dossier est la Navette de Demain, où nous regroupons les solutions principales afin de répondre à notre problématique.